Les garanties accordées à un fonctionnaire à l’encontre duquel une procédure disciplinaire est engagée sont minces : il a le droit à la communication de son dossier, le droit à l’assistance de défenseurs de son choix et, lorsque l’administration envisage de prendre une sanction autre que celles du premier groupe, à la consultation préalable du conseil de discipline pour avis (articles L. 532-4 et L. 532-5 du code général de la fonction publique).
Par décision n° 2024-1105 QPC du 4 octobre 2024, le Conseil constitutionnel a instauré une nouvelle garantie : le droit d’être d’informé du droit de se taire.
Cette décision, attendue par les praticiens (I) ne devrait pas changer radicalement la défense des agents poursuivis disciplinairement tant que les garanties ne seront pas opposables dès l’engagement de la procédure administrative (II).
I. Une décision attendue par les praticiens de la procédure disciplinaire
Les puristes écriront que la question du droit de se taire agitait les praticiens du droit disciplinaire de la fonction publique depuis 2021, date à laquelle la Cour de Justice de l’Union Européenne a jugé que la réglementation européenne sur les abus de marché, lue à la lumière des articles 47 et 48 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, permet aux Etats membres de ne pas sanctionner une personne qui, dans le cadre d’une enquête, refuserait de fournir des réponses susceptibles de faire ressortir sa responsabilité pour une infraction passible de sanctions administratives présentant un caractère pénal ou sa responsabilité pénale (CJUE 2 février 2021, C-481/19).
Les plus modestes écriront que la question s’est surtout invitée dans les prétoires à partir du 8 décembre 2023, date à laquelle le Conseil constitutionnel a estimé qu’un notaire faisant l’objet de poursuites disciplinaires ne devait pas pouvoir être entendu sans qu’il soit préalablement informé du droit qu’il a de se taire (décision n° 2023-1074 QPC du 8 décembre 2023).
Les juridictions administratives ont immédiatement appliqué cette décision. Ainsi, à deux reprises, le juge des référés a suspendu une sanction disciplinaire infligée à un agent qui n’avait pas été informé du droit de se taire (TA Cergy-Pontoise, 1er février 2024, n° 2400163 ; TA Saint-Martin 31 mai 2024, n° 2400061). De manière plus éclatante, la cour administrative d’appel de Paris a jugé qu’un fonctionnaire objet de poursuites disciplinaires ne pouvait pas être entendu sans avoir été préalablement informé du droit qu’il a de se taire (CAA Paris 2 avril 2024, n° 22PA03578).
Certaines administrations ont spontanément tiré les conséquences de ces décisions en introduisant la notification du droit de se taire dans leurs procédures disciplinaires. D’autres ont fait de la résistance et considéré que la décision n° 2023-1074 QPC du 8 décembre 2023 portait sur la régularité d’une juridiction ordinale et ne pouvait être transposée à la procédure administrative disciplinaire.
Face à cette incertitude, il devenait impératif qu’une autorité se prononce. C’est donc avec soulagement que les praticiens ont vu le Conseil d’Etat renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité à la Constitution de l’article L. 532-4 du code général de la fonction publique en tant qu’il ne prévoit pas de notification obligatoire du droit de se taire à l’agent objet d’une procédure disciplinaire (CE 4 juillet 2024, n° 493367).
II. Une nouvelle garantie dont l’effet devrait être limité
Par décision n° 2024-1105 QPC du 4 octobre 2024, le Conseil constitutionnel a rappelé, d’une part que le droit de se taire découle du principe selon lequel nul n’est tenu de s’accuser (lequel résulte de l’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789), d’autre part qu’il s’applique à toute sanction ayant le caractère d’une punition.
Le Conseil constitutionnel a constaté que le code général de la fonction publique ne prévoit pas que le fonctionnaire à l’encontre duquel une procédure disciplinaire est engagée doit être informé de son droit de se taire alors même que ses déclarations devant le conseil de discipline sont susceptibles d’être portées à la connaissance de l’autorité investie du pouvoir de sanction. Il en déduit que les dispositions de l’article L. 532-4 du code général de la fonction publique méconnaissent les exigences de l’article 9 de la Déclaration de 1789 et doivent être déclarées contraires à la Constitution.
Le Conseil constitutionnel a décidé de reporter au 1er octobre 2025 sa déclaration d’inconstitutionnalité tout en précisant que, jusqu’à cette date, le fonctionnaire à l’encontre duquel une procédure disciplinaire est engagée doit être informé de son droit de se taire devant le conseil de discipline.
Bienvenue sur le plan théorique, cette nouvelle garantie devrait toutefois avoir un effet limité en pratique dès lors qu’à l’instar des autres garanties prévues par le code général de la fonction publique, elle n’est pas applicable à l’enquête administrative. Cette dernière précède généralement l’ouverture de la procédure disciplinaire et permet à l’administration d’investiguer librement et sans contrainte sur les faits portés à sa connaissance pour déterminer s’il y a lieu d’engager une procédure disciplinaire. Cette enquête administrative n’est soumise à aucun formalisme et n’ouvre droit à aucune garantie : l’administration a tout loisir d’auditionner un agent sans lui donner communication du dossier et sans qu’il ne soit assisté d’un conseil (CAA Douai 19 janvier 2021, n° 19DA01884). Les garanties offertes par le déclenchement de la procédure disciplinaire apparaissent en pratique d’effet limité car l’agent a le plus souvent déjà été auditionné et le dossier constitué.
En définitive, c’est au stade de l’enquête administrative, no man’s land juridique – ou presque, qu’il conviendrait d’accorder de réelles garanties à l’agent, en lui permettant par exemple d’être assisté d’un défenseur de son choix et d’avoir connaissance des accusations portées à son encontre. C’est particulièrement important quand on sait que le fonctionnaire peut être amené à reconnaitre des manquements, parfois constitutifs d’une infraction pénale, et que ses déclarations vont être portées à la connaissance de l’autorité investie du pouvoir de sanction et surtout du juge pénal.
Etienne de Castelbajac
Etienne de Castelbajac
Associé
Avocat au Barreau de Paris
À la fois formateur et praticien du droit de la fonction publique depuis de nombreuses années, Etienne de Castelbajac conseille les personnes publiques afin de sécuriser la mise en œuvre des enquêtes administratives et des procédures disciplinaires. Il défend également les agents publics qui font l’objet d’une enquête administrative, d’une procédure disciplinaire ou encore d’une sanction disciplinaire (préparation aux auditions, assistance lors des auditions, assistance devant le conseil de discipline, rédaction d’observations, procédures de recours administratifs et contentieux à l’encontre des sanctions). Il représente également les agents publics qui dénoncent des comportements répréhensibles ou mettent en jeu la responsabilité des personnes publiques pour harcèlement, discrimination, etc.
Ancien Secrétaire de la Conférence (2018), Etienne de Castelbajac conseille et représente des personnes physiques ou morales, de droit public ou de droit privé, victimes ou mises en causes pour des manquements au devoir de probité (prise illégale d’intérêts, concussion, favoritisme, corruption, détournement de fonds publics).
Pour le contacter : e.decastelbajac@or-avocats.com
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