Par une décision du 4 octobre 2024, le Conseil constitutionnel a consacré pour le fonctionnaire poursuivi disciplinairement le droit d’être informé du droit de se taire et a jugé que ce droit peut être invoqué dans toutes les instances en cours jusqu’au 1er octobre 2025, date butoir à laquelle le législateur devrait avoir réécrit l’article L. 532-4 du code général de la fonction publique (décision n° 2024-1105 QPC).
Cette décision d’inconstitutionnalité soulève, dans l’attente de la nouvelle loi, quelques questions auxquelles le Conseil d’Etat vient de répondre par une décision rendue le 19 décembre 2024.[1]
D’une part il est acquis que, sauf exception, le droit d’être informé du droit de se taire ne trouve pas à s’appliquer dans le cadre de la procédure administrative qui précède la procédure disciplinaire (I), d’autre part que l’agent public doit être informé de ce droit avant d’être entendu (II), et enfin que l’absence d’information du droit de se taire n’entraine pas nécessairement l’irrégularité de la procédure disciplinaire (III).
I. Le droit de se taire sanctuarisé à la procédure disciplinaire stricto sensu
La question de savoir si le droit d’être informé du droit de se taire s’applique seulement à la procédure disciplinaire ou également à la procédure administrative n’est pas neutre pour les administrations tant la pratique veut que le dossier disciplinaire ne soit en réalité constitué que de l’enquête administrative.
Sans surprise, et conformément à une jurisprudence administrative constante sur ce point pour les autres garanties accordés à l’agent poursuivi (voir par. ex. CAA Douai 19 janvier 2021, n° 19DA01884), le Conseil d’Etat juge que le droit d’être informé du droit de se taire ne s’applique qu’à la procédure disciplinaire stricto sensu et non à la procédure administrative.
Ce principe souffre toutefois deux exceptions.
D’une part, le Conseil d’Etat réserve l’hypothèse, plutôt rare en pratique mais pas impossible, dans laquelle la procédure administrative serait postérieure ou concomitante à l’ouverture d’une procédure disciplinaire. Dans cette hypothèse, les enquêteurs doivent informer l’agent du droit qu’il a de se taire. Pour le rapporteur public cela se justifie par le fait que « l’enquête administrative est alors couverte par le champ d’application temporel de ce droit dont le point de départ est l’engagement des poursuites. »
D’autre part, le Conseil d’Etat réserve l’hypothèse du détournement de procédure de l’enquête administrative, sans toutefois donner de plus amples précisions sur ce que recouvre cette notion en la matière. Pour le rapporteur public, il y a détournement de procédure de l’enquête administrative lorsque l’administration questionne un agent sur des faits en vue d’utiliser ses propos dans le cadre ultérieur de poursuites disciplinaires, c’est-à-dire lorsqu’il « apparaissait d’ores et déjà certain qu’une procédure disciplinaire serait engagée [à son encontre] et que l’enquête a été diligentée aux seules fins de recueillir, dans un cadre dépourvu de l’ensemble des garanties de la procédure disciplinaire, des propos de nature à fonder de manière déterminante la sanction ultérieurement prononcée. »
On peut raisonnablement penser qu’il sera très difficile pour un agent de parvenir à cette démonstration, sauf cas extrême, puisque l’administration dispose de l’opportunité des poursuites disciplinaires. Dans l’attente des premiers jugements sur les contours du détournement de procédure, l’administration devrait éviter d’attendre la toute fin de l’enquête administrative pour auditionner un agent public.
II. L’agent public doit être informé du droit de se taire avant d’être « entendu »
Quand et comment notifier à un agent public l’information sur le droit de se taire ? A cette question, le rapporteur public suggérait au Conseil d’Etat d’effectuer une distinction entre « entendu », qui couvrirait l’audition orale, et « interrogé » qui couvrirait l’hypothèse d’une audition écrite, par exemple par le biais d’un questionnaire.
Le Conseil d’Etat retient le terme « d’entendu » et juge que : « De telles exigences impliquent que l'agent public faisant l'objet d'une procédure disciplinaire ne puisse être entendu sur les manquements qui lui sont reprochés sans qu'il soit préalablement informé du droit qu'il a de se taire. A ce titre, il doit être avisé, avant d'être entendu pour la première fois, qu'il dispose de ce droit pour l'ensemble de la procédure disciplinaire. »
Ces deux phrases appellent les brèves observations suivantes.
Premièrement, en utilisant le terme « entendu » et non « interrogé » le Conseil d’Etat apparaît consacrer un droit de se taire uniquement pour une audition orale. Il est vrai qu’en pratique rare sont les mis en cause interrogés par écrit, ce procédé étant plutôt utilisé pour les témoins.
Deuxièmement, la notification n’a pas nécessairement à être effectuée dès l’ouverture de la procédure disciplinaire, mais seulement avant toute audition sur les faits reprochés.
Troisièmement, le Conseil d’Etat ne dit rien des modalités concrètes de la notification du droit de se taire (par écrit, par oral ?), laissant une marge de manœuvre à l’administration, à charge pour elle d’être en mesure d’établir la notification de ce droit en cas de contestation.
Dernièrement, le Conseil d’Etat indique qu’il n’est pas besoin de réitérer la notification à chaque acte dès lors qu’il est bien indiqué à l’agent public qu’il dispose de ce droit « pour l’ensemble de la procédure disciplinaire ».
III. L’absence d’information du droit de se taire n’entraine pas nécessairement l’irrégularité de la procédure disciplinaire
Last but not least, le Conseil d’Etat précise que le défaut de notification du droit de se taire n’est susceptible d'entraîner l'annulation de la sanction prononcée que lorsque, eu égard à la teneur des déclarations de l'agent public et aux autres éléments fondant la sanction, il ressort des pièces du dossier que la sanction infligée repose de manière déterminante sur les propos tenus par l'intéressé.
Tel n’est pas le cas dans l’affaire dont est saisie le Conseil qui considère que la sanction prononcée ne se fonde pas de manière déterminante sur les propos de l’intéressé mais sur des éléments de preuve récoltées sans l’aide des déclarations de l’intéressé, de manquements constatés sur la base de faits constants et de témoignages, nombreux et convergents, de sa hiérarchie et de ses collègues.
Il appartiendra aux juridictions administratives du fond de préciser cette notion de « manière déterminante », mais les conclusions du rapporteur public apportent d’ores et déjà une ligne directrice : il conviendra de déterminer si le dossier disciplinaire, expurgé des preuves viciées, eût été suffisant à fonder la sanction. Ainsi, le simple fait pour un agent de s’être exprimé sans avoir reçu notification du droit de se taire, qu’il ait reconnu ou non les faits, n’entrainera pas l’annulation de la sanction si d’autres éléments objectifs permettent de fonder la sanction.
Certaines situations devraient être plus délicates que d’autres. Par exemple, qu’en est-il des preuves récoltées à la suite des déclarations de l’intéressé mais dont l’administration ferait valoir qu’elle aurait pu et qu’elle allait d’ailleurs les collecter sans les déclarations de l’intéressé ?
Il n’est pas certain que nous ayons un jour la réponse à cette question tant la notification du droit de se taire a d’ores et déjà été intégrée par de nombreuses administrations désireuses de sécuriser leur procédure et de limiter les irrégularités procédures.
[1] Le Conseil d’Etat, par une seconde décision n° 490952 du même jour, s’est également prononcé sur la procédure disciplinaire applicable aux personnes poursuivies devant une juridiction disciplinaire de l’ordre administratif
Etienne de Castelbajac, Avocat associé et Jonas Cerisier élève avocat.

Etienne de Castelbajac
Associé
Avocat au Barreau de Parisenne de Castelbajac
À la fois formateur et praticien du droit de la fonction publique depuis de nombreuses années, Etienne de Castelbajac conseille les personnes publiques afin de sécuriser la mise en œuvre des enquêtes administratives et des procédures disciplinaires. Il défend également les agents publics qui font l’objet d’une enquête administrative, d’une procédure disciplinaire ou encore d’une sanction disciplinaire (préparation aux auditions, assistance lors des auditions, assistance devant le conseil de discipline, rédaction d’observations, procédures de recours administratifs et contentieux à l’encontre des sanctions). Il représente également les agents publics qui dénoncent des comportements répréhensibles ou mettent en jeu la responsabilité des personnes publiques pour harcèlement, discrimination, etc.
Ancien Secrétaire de la Conférence (2018), Etienne de Castelbajac conseille et représente des personnes physiques ou morales, de droit public ou de droit privé, victimes ou mises en causes pour des manquements au devoir de probité (prise illégale d’intérêts, concussion, favoritisme, corruption, détournement de fonds publics).
Pour le contacter : e.decastelbajac@or-avocats.com
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